Texte sur le Jardin Catalan de Georges Badin

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Texte sur le Jardin Catalan, avec Michel Butor … en correspondance

Renoncement, s’il y a lieu d’y croire, on ne peut attribuer la faute à un être ou à un lieu, à un état, l’enfance par exemple, qui en serait responsable. Et pourtant la naissance est là : le jardin de l’enfance avec ses carrés, le seringa, le magnolia sur lequel l’enfant montait pour voir l’ensemble du jardin et lire. Pas d’exactitude, aucun jugement, un état d’innocence qu’habitent le jardin et l’enfant. Le paradis par la suite peint, incomplet pourtant avait son origine dans ces années-là. Et il a fallu abandonner toutes ces références pour que le paradis prenne vie et aille ailleurs pour raconter une histoire pour chacun. Du singulier là-bas, autrefois à ici et maintenant, partout et toujours, pour tous. Pour que cette réserve de beauté et de vérité serve l’histoire de chacun. Le poète est venu au secours du peintre sans le prévenir, il a écrit le mot « jardin » et ce qui est devenu vivant,
actuel a été écrit, noté par des couleurs et par des lignes – une ouverture, une disposition à être, à donner à lire, même à ceux qui sont éloignés de ce lieu passager -. Qu’est-il devenu cet éden ? Chaque lecture, chaque regard le dira, l’écrira à son tour, lui donnera des couleurs.

Jaune : prendre naissance, c’est-à-dire s’élever, ne jamais être au faîte et puis, si on attribue un vouloir à la couleur, elle occupe toute la place, ne laisse aucun interstice dans son étendue. Toucher la peau serait aller et venir, ne pas s’arrêter, peut-être à l’exemple du poète qui va s’emparer du désir, le faire homme ou femme ou les deux et surtout les faire apparaître au point qu’ils ne sont que la phrase simplifiée qu’ils entendent : Dieu, c’est la couleur et ils n’y ont pas cru, c’est là peut-être leur péché, dit le poète, alors que l’histoire raconte qu’ils ont péché parce qu’elle a mangé la pomme et a ainsi obéi au serpent qui se trouvait là par hasard. Ecrire, peindre trouve ici son origine et le poète comme le peintre ne cessent d’être dans ce poiein, glissement sans cesse parce qu’il est toujous à faire, avec cette « insurrection de l’imaginaire » (E. Glissant) qui en est le moteur

Vous demandez s’il y a fusion entre l’écrit et la peinture. J’emploierai plutôt le mot « écart » (qui est le nom de la maison de Butor à Lucinges). Ce mot donne à lire les rapprochements entre les images (couleurs, dessins par les lettres) et les mots qui en créent aussi eux-même. Je veux mettre l’accent sur l’inachevé, ce qui va toujours suivre. Je prendrai un exemple dans la musique : un motet de Vivaldi que j’ai entendu dernièrement où la voix et la musique avec si peu de notes, presque des répétitions voulues, étaient en parallèle sans jamais se confondre. Ecart du désir, fusion souhaitée mais jamais accomplie, comme en amour : on ne devient jamais l’autre. Je reprends mon histoire avec la couleur et le paradis : le jaune et le bleu semblent souverains presque, analogiques de deux dieux presque. Il y a une suite que je veux dans cette juxtaposition intitulée « Eté paradisiaque ». Le plaisir ici, celui du texte de Butor et celui de la peinture, ne se confondent pas. Celui qui regarde en crée un autre.

Vous avez écrit le mot « paradis » et j’y ai souvent pensé sans parvenir avec deux couleurs à en donner une image: jaune et bleu. Ces deux couleurs suffisaient-elles à dessiner Adam et Eve avec leurs désirs, leurs hésitations, leurs incertitudes, leur esprit de domination? Sollers emploie le verbe « exagérer » à propos de Poussin et de son Printemps : cette qualité vous est-elle apparue dans mes tentatives? Il faudrait poursuivre et dire ce que ce verbe annonce, dévoile, écrit. J’en appelle aux poètes, à Butor par exemple.

Figuratif, au masculin comme au féminin, ce ne serait qu’un adjectif qui tracerait des lignes imaginaires (enfin, on les pense telles) mais pour aller vers où, aboutir à quoi, être lisible pour quelques-uns. Il y aurait appel réciproque entre ce qui est donné et le trait, entre l’intention et le dessin et peut-être pourrions-nous décrire ce passage : après les cailloux, le sable, on avance, l’herbe, elle est verte mais d’un vert qui a subi des atteintes , et des chardons avec leur fleur piquante d’un bleu déjà annonciateur de la mer. Toujours la synesthésie, dans la marche et le désir d’atteindre l’eau. Et lorsque la mer apparaît le même événement a lieu : deux couleurs qui se superposent, s’étalent, jaune/bleu, ocre du sable/blanc de la vague. Selon le mot de Benjamin Constant, « de la constance dans l’inconstance ».

Plus tard …

Aussi loin que le regard se porte, sujets et écriture s’allient – est-ce dire qu’ils sont indissociables ?-et l’écriture semble se faire miroir, elle regarde, elle est regardée. S’il y a séparation, c’est à un niveau conceptuel et la « puissance d’être » (Spinoza) aborde aux rives du profane et du sacré qui, selon Deleuze, irriguent toute écriture. Le poète rêve d’une halte souveraine, celle de la couleur qui serait indestructible, tandis que le poème fait se succéder les passages vite effacés de l’écriture et qu’il préfère profaner, défaire, désunir l’admissible, ce qui se présente comme établi, et finalement ces mouvements, cette volonté de ne pas tenir en place sont une tentative pour rejoindre la couleur pure et ainsi le peintre et le poète partagent la même obsession, celle de l’unité.

Les mots de Butor, en réponse : « Très beau votre texte : le jardin au bord de la mer, ,l’enfant sur le magnolia, tout cela passe admirablement dans votre peinture. J’essaie d’en capter et d’en renvoyer quelque chose.  »

Georges Badin