L’ARAIGNÉE DE SOIE

by b

Un texte de Jean-Paul Gavard-Perret

« Tu ne porteras pas d’ombre. Ni rien sous sa robe noire. Je serai au bord du Canale » (Pierre Bourgeade).

Le torrent jusqu’à l’extinction. Au point du jour, il imagine. Ses volets fermés. Il imagine l’hiver. Un grand âtre, un grand lit, elle bouillante en son cratère et lui cousu à elle pour sentir le chaud. Il imagine le point du jour après l’averse où il s’est perdu pour se reconnaître, pour voir l’obscur en luii et trouver la parole à mesure que le cri aigu de la femme s’ouvrait sur son plaisir. Tant de fois, sans relâche, elle l’a touché, il est monté dans l’étendu(e). Voilà pourquoi il écrit, il répète : qu’elle se dénude pour qu’il la regarde. Ainsi ces moments où l’écriture le révèle dans la crudité de son désir. Il sait que tôt ou tard elle aussi partagera cette envie. D’elle il attend tout. Il attend qu’elle le touche. Il veut connaître ses secousses et se laisser engloutir – ne plus savoir qui il est dans la folie de la dérive. Il faut qu’il aille au bout de ce qui a commencé, il ne peut plus faire marche arrière. Elle l’aspire, elle le soutient, elle le guide, il la rejoint. Il disparaît dans les lunes blanches des jasmins du jouir pour voir surgir le temps lorsqu’elle prolonge la perception la plus fine. Il n’est que cette goutte, cette rosée du matin. Elle est l’horloge de son silence. Il se souvient. Tant de fois sans se voir il l’avait déjà fait. Ses mains vaquent en cette absence. Et lorsqu’il il croit que ça se retire mais quelque chose approche. Elle est au bout du boulevard. Visage sans voix. Voix sans visage. Il veut que le jour contienne leur dérive. Rêvant d’y être, de perdre les mots ou de parler entre ses guillemets. Car elle n’est pas une ombre. Plutôt sa déchirure. Il bande sa langue dans ce jardin offert. Parfois il reste au bord, en équilibre. Il y a la brûlure, il en cherche le centre. Son corps est transparence. Elle le remplit, le vide, l’avance. Lumière au centre et rayon si moelleux. Il remonte la pente tandis qu’elle creuse l’invisible jusqu’à l’avalanche, osant ce détour, ce détournement. Langue ruisselet, ruisselante – jusqu’au fleuve. Il est dedans – éclipse, antre. Il décrit la descente. Le faut-il ? Il le faut. Il ne guérira pas de sa folie. D’ailleurs on ne meurt pas de cela. On est mort bien avant. Où alors, c’est que l’on a jamais vécu. Il reste dans l’impuissance de (se) penser. S’éloigner le ramène vers elle. Il est dans la parenthèse de ses jambes et dans la robe qu’elle enlève. Ni rivière, ni grange. Mais gang et Gange. Le fleuve. Comme s’il voyait dedans. Creusant l’invisible jusqu’à l’avalanche. Ainsi tout à reprendre. Dans la césure et la faille il donne forme à cette blessure blanche. Elle forge le passage, il avance comme un errant en ce débordement. Passé un certain seuil, rien appartient à l’angoisse. Elle est là sans y être. Passé les monts, la terre tremble et tombe. Le vent s’entasse, enserre toute vie dans son gris de métal. Mais quand le vent l’emportera qui pourra dire si elle a existé? Il mourra pour savoir si ce qu’il vient de tombe dans l’inconnu(e).

Jean-Paul Gavard-Perret