Pourquoi j’écris

by b

« Rien n’est vrai, tout est vivant » (Edouard Glissant) si tu écris, pressé par les voiles blanches de la page.

Où vous rencontrerez-vous, écriture et personne ? Vous écririez pour que les lignes vous secondent, noires sur la page. Elles agiraient mais pour le moment elles sont sans précision, en désordre et vous oppressent.
« Elle déconstruit l’hypothèse divine » (Raphaël Enthoven), l’écriture qui se sert de ses armes contre la culpabilité, le dieu social avec les paroles imposées dans ses églises, répétées sans que les fidèles s’en aperçoivent, alors qu’elle manifestera, dans ses détours et cercles ou accès aux montagnes, une indécence qui ne se laisse pas prendre aux mailles, aux filets. Compacité des sons, de l’un à l’autre séparés, unis, suivant une droite comme les bras étendus d’Aphrodite, les recevant dans un ultime abandon.
S’il avait en tête cette phrase « Dehors la nuit est gouvernée » (Char), c’était pour détacher le verbe, lui donner un sujet, l’écriture, vouloir se saisir du temps et lorsqu’il écrirait souhaiter se perdre dans ses enthousiasmes , être à l’avant, comme si c’était un navire dont il ordonnerait la route, sans être maître de ses accidents.
Des événements presque inaperçus mais lisibles par les premiers hommes. Il s’ajoute à ces noms une liberté et une tristesse devant lesquelles l’auteur serait contraint de s’arrêter et qui dirigeraient vers la beauté dès leur rencontre. Ne pas souscrire à la déclamation, mettre le doute à nu si bien que les notes se joignent par un souffle brûlant, s’appellent par un creux au noir lisse et actif, et c’est la sonate en si mineur de Chopin. Les couleurs sont soumises à une même marche, précipitation ou lenteur : le bassin par exemple est bleu, il le voudrait changeant selon le jour, l’heure, et il s’ensuit des bandes de couleur, bleu clair, bleu outremer, bleu couchant de soleil qui sont éparpillées pour se rejoindre peut-être bientôt avec les toiles ou les papiers qui les multiplieront, les assembleront pour le cercle du bassin autour duquel l’enfant tournait.
Ce qui aura été donné à lire n’a jamais été attendu et si l’oscillation entre les notes de la sonate comme entre les mots de l’écriture sur la page dessine ce que va poursuivre  la ligne ou la courbe, le lecteur sera le premier auteur.
Le verbe non loin de lui, il se dérobait à son regard, sur le carnet les taches de couleurs glissaient (on pourrait mieux dire que leur surface était transparente et lisse comme l’eau souvent qui l’arrêtait). Le danger était de donner à ces taches trop de vouloir-être, de côtoyer le bassin, de faire que l’eau jaillisse du rocher et surtout s’il atteignait de telles limites qui pouvaient être de mort, c’était pour, avec la page suivante, retrouver le cercle, l’eau, les feuilles, le rocher, les poissons. Le verbe premier était « se dérober ».

La toile sur châssis, la toile souple, au sol, grandes surfaces, la liberté qu’elles offrent a ses absolus, les rythmes qu’elles tissent – retour à Pénélope -, le soir effacé, toujours recommencé, la beauté a ses jours, ses nuits, les regards des passantes, des notes écrites sur le tissu vont jusqu’au livre «  mais la nature est là qui t’invite et qui t’aime / Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours » Lamartine.
Le poème long oscille entre les affirmations, les conseils pour faire croire à une certaine lucidité et après avoir décrit la nature, les deux ruisseaux qui courent puis disparaissent, les bois dont les feuillages s’entremêlent, il rédige une sorte d’ordonnance pour lu,i alors que la vraie écriture aurait été de déjouer toutes les affirmations et de les mettre en doute. Si le poète du « Vallon » avait peint, utilisé des couleurs, il aurait écrit : « Le tableau n’est que le résultat d’un travail ». Il ne pouvait pas percevoir la condamnation à la mort que, malgré lui, il propose au présent de tous les possibles, à l’hospitalité que Derrida souhaitait, attendait, a parcourue et qui ne l’a jamais fait chuter.
Sur le chemin d’abord montant, à droite la colline avec ses chênes-liège et ses terrasses, de l’autre côté un creux, mais ce qui accompagne, ce sont les quatre impromptus de Schubert qui se décomposent en deux temps, faible et fort. On est pris uniquement par la route. De même les notes du premier impromptu ne donnent qu’une direction, qu’un imaginaire, tous deux mouvants . Renoncez aux systèmes, nous dit la déesse-nature.
Et Aphrodite qui n’a jamais quitté les lieux où nous sommes encore n’est pas seulement la beauté qui ferait loi ou l’éclat qui rivaliserait avec la première lumière, ce qui pourrait la placer dans un rapport presque constant avec la finitude, elle est aussi, semble-t-il, si on ne la fixe pas, un passage d’éternité comme le sont les deux couleurs du matin ou l’épiphanie propre à l’écriture. Elle se perd pour nous, la déesse de l’amour, pour laisser toute la place à l’écriture qui s’en emparant ne la contraint pas mais l’utilise, à la peinture et à toutes ses libertés sous la surveillance des regards à venir.
Se recueillir. Le corps droit, en arrêt, très loin du verbe que l’écriture a noté. Dans la montée où l’horizon se découvre, un arrêt en face du buisson épineux, très large et haut, après quoi des chênes-liège limitent le terrain : où cela mènerait-il de s’interroger ? Ainsi la phrase qui débute est soumise à tous les hasards.
« Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir » (Corneille)

Georges Badin le 13 février 2011