Michel et Marie-Jo

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Marie-Jo et Michel : « De toute manière, le tout fera une désorganisation. » (John Cage)

Avec La Modification et après tant de pages peut-être mises à mal par la poésie qui naîtra vite, l’auteur ne s’en tiendra plus à une formule dont il verra vite qu’elle l’enserre. Mais peut-être fallait-il qu’il soit rassuré et comme protégé de tout écart.

Venise, trop fervente pour être docile, si forte qu’elle rassemble les regards, si nuancée qu’aucun arrêt ne la saisit : le poète a des mots tels des rivaux aux ors, à l’ éternité de la ville et il les donnera en secret à l’amoureuse.
Il aurait écrit Marie-Jo et sans cesse il aurait voulu ajouter à ce prénom les deux lettres I E, pour faire joie, pour que ce nom soit dans la présence qu’il souhaitait inlassablement, et la durée serait dans tous ses états.

L’oiseau, le chant, ils persistent en lui, ils établissent une durée, ne fléchissent pas, avant le lever du jour ils gouvernent le tilleul, ne laissant aucun passage à la lumière, ils défont les limites après les avoir brûlées comme des barrières de bois.

Quand bien même l’objet serait un lieu ( Venise ) – le poète l’écrit vite, imprudemment – il ne faudrait pas s’y arrêter mais laisser libre cours aux quelques phrases qu’il note et les allers et retours entre elles et le poète seront des territoires qu’aucun jugement, aucun interdit ne troubleront.

C’était vécu sans qu’il songeât à des appuis : « Un seul être vous manque », le prénom qu’une voix évoque répond si peu, le poète alors cache l’imparfait dans les plis de la robe, ne voulant pas être pris au dépourvu, il imagine de nouvelles rencontres dans les lieux où ils se retrouvaient pour rejoindre dans l’écriture, en évitant la fureur , l’inconstance du sur-place, une durée semblable à cet amour entre eux où aucun mot de partage n’était souhaité.

Les écrits que le poète envoie au « teinturier des muses » sont en vue d’un livre. Le titre serait « De l’amour et de ses suites inexorables ». Il a attendu, espéré que la couleur rose, unie, le préserverait de toute embûche, ferait de ce blanc sur la page l’amour idéal, sans aucune brisure mais avec la volonté qui le tient au libre parcours que proposera le livre, il ne s’opposera pas à toutes les aventures colorées, rejoignant ainsi Venise et les enfants qui crient, fleurs, couronnes, encens, l’eau du grand canal, comme une route. Ce qu’il y aurait dans ce rêve fait à Venise ou plus tard à Cambridge : des reflets en trompe l’oeil, une suite d’instants qu’on ne peut approcher et qu’on regarde avec envie.

Dans les allers et venues des images de Venise ou d’autres lieux, nulle contrainte ( rien ne les oblige à emprunter telle rue, à aller vers tel monument), et donc cette liberté proche de l’amour à laquelle tous deux sont soumis sans que le joug fasse sentir sa forme ni son poids. Et il ne se détache jamais de la page qui peut s’étendre sur le sol ou bien voler, qui naîtra avec le jour, du moins il a cet espoir, et ne s’achèvera pas avec la nuit, avec ses flammes et sa lumière immobile, dans un état « d’être et de combustion » (Yves Peyré).

Où seriez-vous – vous vivriez sans attaches – si elle et lui ne s’arrêtaient pas sur ces personnages petits, grimaçants, les mains tendues comme s’ils voulaient sortir du mur de l’abbaye, parler, agir, se faire connaître ? Où seriez-vous si elle et lui, enveloppés dans une chaleur souhaitée, n’étaient pas à ce moment-là tenus dans un mouvement régulier de vagues où se suivaient le silence et le bruit ?
La ligne qu’elle et lui parcourent est droite, se confond avec le chemin de terre qui monte sans que l’effort se fasse sentir, peut-être proche du désir s’il ne s’arrête pas, mais en prononçant le mot, il ne lui donne aucune vérité : et l’arrivée est à ce figuier à flanc de colline. C’est un arrêt. Les feuilles offertes, en haut, en bas, sont des mains qui les accueillent, les protègent, les rapprochent, sans que la couleur intervienne, s’impose.
Le temps des incertitudes n’avait aucune place ici, tant étaient unies l’offrande des mains du figuier, la descente dorée de la colline, le feuillage vert au-dessus du gouffre, si continue était la couleur bleue du ciel qui n’aurait aucun terme, même vers le jaune de la dune.

Georges Badin