Ecrire le regard : Georges Badin par Christian Perrier

« Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir.. . » dit Rimbaud dans « Le Bateau ivre ». C’est une parole que l’on prêterait volontiers à Georges Badin : quand on regarde une de ses toiles, on n’en croit d’abord pas ses yeux. Un éclat fulgurant de la couleur jaillit sans ménagement. Des formes avides de briser leurs propres limites nous parlent d’un monde qu’on ne croit plus possible, auquel on a trop tôt renoncé; ivresse dionysiaque des anciens temps; bannières à tue-tête d’une impossible extase.

Impossible. L’apparition fugace, les splendeurs entrevues sont sans cesse menacées du chaos. Si les formes parfois se laissent capter par la lisibilité vacillante d’une figure imprégnée de légende (corps fantasmé, colline tutélaire, fleurs mythiques, rituel ancestral … ) c’est pour être aussitôt menacées d’engloutissement par la prégnance dévorante d’une texture fébrile. Badin entretient avec l’image un rapport analogue à celui du torero avec la bête : l’approcher pour la détruire, la frôler pour aussitôt la fuir; ballet incessant de la présence et de l’absence. De cette course qui va du manque au trop-plein, la toile est la mémoire : passages, macules, imprégnations, griffures scripturales inscrivent dans l’espace et le temps la danse du faune et les aléas de sa quête. Alors « ce que l’homme a cru voir » s’inscrit sur la chair maintes fois visitée de la toile : la béance du désir, la figure et son doute, vision désormais pérenne d’une illusion avérée.

C. Perrier mai 2000