Nuidité de la lumière Jean-Gabriel Cosculluela à Georges Badin

Le peintre part de rien. Ou presque. Dans l’étrange familier (1) de la peinture.

Il part de rien, sans rien oublier,  sans oublier le vertige, le manque de voir possible devant la lumière, la joie.

                                              Je crois qu’il n’y a pas de lumière en ce monde
                                                                     sinon ce monde
                                                        Et je crois que la lumière est (2)
 

Depuis longtemps et souvent,  il quitte les mots pour les couleurs, le visible comme l’invisible, il marche avec les couleurs, leur dissémination, il laisse les sandales comme sur un chemin blanc dans la montagne, près d’un torrent, mais une page au fond ou au bord ce n’est  pas comme, il sait que la lumière est, dans l’éclat soudain, où même l’ombre brûle.

Le peintre peint la vie au moment de la lumière la plus vive ou de la moindre lumière.

Sur la page,  il tire la lumière, il tire les couleurs avec le feu, l’air, la terre ou l’eau.
Les couleurs élèvent, évident, creusent, fuguent. Elles écoutent le blanc près de rien: il y a des strettes de couleurs seules et non seules dans le blanc.

Où va la lumière ?

Les couleurs poussent le livre vers ses limites: elles y rôdent, fugueuses et nodales.
Le peintre va vivement sur la page et se perd au bord de la page: les couleurs sont tracées et s’effacent aussi en allant vers le bord.

La lumière est l’air des couleurs de s’en aller dans le blanc: elles  gardent le blanc et elles le dénouent dans le vide.

Les couleurs apparaissent et disparaissent dans le blanc. Dans un instant immédiat, le peintre va vivement dans le livre et vers ses limites:  il exalte la nudité du vide (3). Le peintre s’en va avec les couleurs, il fait de l’erre dans la lumière. Il peint et perd les couleurs sur leur fin. Dans la nudité de la lumière.

                                                     Et dans cette lumière tu es présent;
                                                          mais je ne sais pas où tu es,
                                                     je ne sais pas où est la lumière.(4)

Le peintre revient à l’inconnu sans oublier le vertige, le manque de voir possible devant la lumière, la joie. Avec la peinture, il lui revient de peindre jusqu’où perdre les couleurs, jusqu’où voir , de mettre en demeure les couleurs d’apparaître et de disparaître dans la page, dans le livre; les couleurs passent la page.

Le peintre est là, il met les couleurs en demeure d’attendre sans retard la lumière et quelques mots.

Le livre pauvre, encore, comment l’imaginer avec les yeux et les mains ?

© Jean-Gabriel Cosculluela, septembre 2011 – mars 2012

(1) Sigmund Freud
(2) George Oppen
(3) Jacques Dupin
(4) Juan Ramon Jimenez
(5) Jean-Gabriel Cosculluela

Ce texte fait l’objet d’un livre d’artiste aux éditions Mémoires / Eric Coisel avec des peintures originales de Georges Badin.