Georges Badin

La peinture de Georges Badin

Catégorie : Textes

Texte de G. E. Clancier

Georges Badin par G. E. Clancier

Tel lui-même ivre de lumière en la mer immergé éclats brisures et parfois somptueuse nonchalance en croix sur le lit du large de nouveau mille étincelles éblouies de ciel sous les diaprures de sel et d’écume. Danse ou combat ? Danse et combat avec l’ange qui vient, s’enfuit, revient, s’échappe en chaque vague, et les bras, les jambes, la chaude fureur du corps étreignent enlacent épousent le tumulte originel avant de regagner apaisés en croix sur le lit du sable celle dont les seins le regard le silence et l’amour donnent sens jour après nuit à l’incertaine traversée.

Ainsi tel lui-même en la mer immergé le voici aux prises avec la houle d’or, de feu, de chair que la couleur tour à tour promet et dérobe, ainsi va-t-il vigie de proue par la danse et l’élan des vastes brassées de couleurs à la surface illimitée qu’il ne cesse d’enchanter au-dessus du vertige.

Texte de G. E. Clancier

Georges Badin par G. E. Clancier

Tel lui-même ivre de lumière en la mer immergé éclats brisures et parfois somptueuse nonchalance en croix sur le lit du large de nouveau mille étincelles éblouies de ciel sous les diaprures de sel et d’écume. Danse ou combat ? Danse et combat avec l’ange qui vient, s’enfuit, revient, s’échappe en chaque vague, et les bras, les jambes, la chaude fureur du corps étreignent enlacent épousent le tumulte originel avant de regagner apaisés en croix sur le lit du sable celle dont les seins le regard le silence et l’amour donnent sens jour après nuit à l’incertaine traversée.

Ainsi tel lui-même en la mer immergé le voici aux prises avec la houle d’or, de feu, de chair que la couleur tour à tour promet et dérobe, ainsi va-t-il vigie de proue par la danse et l’élan des vastes brassées de couleurs à la surface illimitée qu’il ne cesse d’enchanter au-dessus du vertige.

« Récit en réve » – Jacqueline Risset

Texte publié dans le catalogue de l’exposition : « Georges Badin – Sylvestre Clancier, la peinture et la poésie dans tous leurs états, le désir sans son accomplissement ».
Temps de bouillie ordinaire
où l’instant ne se montre pas

Sollicité se détourne
avec imperceptible

levée d’épaule
détour

Mais la nuit apparaît un visage
nuage

arrivé par cette porte
– il peut passer partout

grande présence de retour
joie du retour

on lui parle
il parle

dans son langage
d’image

« ainsi tu n’étais pas »
« non je n’étais pas »

et souriant
« je sais »

le temps s’en va
le temps du rêve s’en va vite

Visage:
s’efface

n’a pas tout dit
mais à présent

je sais aussi
que sais-je ?

Jacqueline Risset Temps de bouillie ordinaire
où l’instant ne se montre pas

Sollicité se détourne
avec imperceptible

levée d’épaule
détour

Mais la nuit apparaît un visage
nuage

arrivé par cette porte
– il peut passer partout

grande présence de retour
joie du retour

on lui parle
il parle

dans son langage
d’image

« ainsi tu n’étais pas »
« non je n’étais pas »

et souriant
« je sais »

le temps s’en va
le temps du rêve s’en va vite

Visage:
s’efface

n’a pas tout dit
mais à présent

je sais aussi
que sais-je ?

Jacqueline Risset

A perte de vue – Michel Butor

La toile couvre les planches ou les carreaux, déborde par la porte-fenêtre pour descendre sur la terrasse puis sur les allées du jardin, franchit le portail et serpente sur les routes, graviers et asphalte, couvre les prés, les rochers, les sables, et même la mer jusqu’à l’horizon. Le fleuve de sang inonde le champ d’ocre qui sinue parmi les steppes de miel coulant sur les taches de mélèzes et les flaques d’été grandissent au milieu des raisins qui brûlent en bordure du désert de neige tandis que la toundra de charbon fleurit jusqu’à l’esplanade de cendres dont la marge d’écorces envahit la plage. Ou bien le champ de tournesols longe la steppe de mousse et les taches de geais caressent les flaques degentianes en bordure du désert des lys qui s’étend jusqu’à la toundra des orages inondant l’esplanade de mercure en marge de la plage des fourrures sinuant parmi les fleuves de braise. Ou encore la steppe des pervenches caresse les taches de glycines qui s’étendent jusqu’aux flaques de givre dans les déserts des gouffres et les toundras des fumées sur l’esplanade aux fourrés inondant les marges de laves et sinuant parmi les plages d’automne. Et voici que la tache de lait coule sur les flaques de suie dans le désert d’ardoise et la toundra des montagnes qui grandissent au milieu des esplanades de géraniums brûlant en marge des plages de bourgeons le long des fleuves de pollen. Regardez la flaque d’ombre grandir au milieu du désert des plumages parsemé de toundras à cardinaux qui brûlent en bordure de l’esplanade aux renards en marge de la plage de soufre au long des fleuves d’herbes et d’yeux. Et maintenant le désert de brique brûle au milieu des toundras de mimosas qui fleurissent jusqu’aux esplanades d’algues et de nuit dans les marges de hêtres et les plages de l’hiver au long des fleuves de jais et des Champs de nuages.

Tout recommence car la toundra au printemps fleurit en bordure des esplanades à poissons et oursins qui envahissent les marges d’écume et d’encre autour des plages de silex et de sciure le long des fleuves d’aurore et de papillons qui caressent les champs d’huile et les steppes de lianes dans les éclaircies entre les dahlias et la lune. Attention! l’esplanade aux cassis envahit les marges de laine autour des plages de jacarandas qui longent les fleuves de perle et d’écaille avec leurs champs de garance et glaïeuls entourés par les steppes à cheveux et phosphores parsemées de taches de lin et de flaques de quetsches devant les déserts de laine et d’obsidienne. Ecoutez la marge des ténèbres caresser la plage de soie le long du fleuve de terre qui s’étend jusqu’aux champs de minium et aux steppes de rouille pour inonder de ses taches de moissons et de ses flaques de moutarde les déserts de curaçao et d’amarante jusqu’aux toundras de nacre. Et même la plage des épaves sinue le long du fleuve de vin et des champs d’acajou qui coulent sur les steppes de flammes avec leurs taches de crépuscule grandissant au milieu des flaques d’indigo et d’iris qui parsèment les déserts d’ivoire brûlant en bordure des toundras de truffes et de poussière jusqu’aux esplanades de ronces. Alors la surface de la peinture germe en espace où ramper d’abord, puis nager et se redresser, respirer, marcher, s’éveiller en ouvrant de nouvelles paupières pour voir au-delà de la vue.

Pour Georges Badin – Max Fullenbaum

Pour Georges Badin par Max Fullenbaum

Il y a une étymologie du geste comme il y a une étymologie du mot. Et le geste est un palimpseste du mot, le mot un palimpseste du geste. Ce que j’ai à dire se vide dans le recouvrement du geste par le mot, du mot par le geste et cet aboutissement est, sera absence d’un geste submergé, absence d’un mot non prononcé dans la persistance d’un silence dont le mutisme enrichit la durée. Le silence est ce vide habité par la transparence d’un souvenir mobile et immobile.

Si la toile est blanche, elle n’est pas vierge mais peuplée dans ses fibres d’intervalles d’ancrage qui font la chaîne pour parvenir à ce silence d’autant plus espacé qu’il remonte le temps, qu’il revient en artère et donne à vivre un historique.

La rétroactivité de ce silence déclenche une vie en écho où rebondit le moi, l’émoi de l’autre. Le coeur bat le chronomètre à rebours et arpente les secondes à venir avec l’espérance d’un passé vécu au rythme accéléré de pulsations que le temps couve sous le poignet. Et ce qui s’émeut se meut dans ce qui se meurt. En silence.

Regards, attentions

Georges-Emmanuel Clancier pendant trois jours en septembre 2004 à Céret

Dans la salle du bas, côté est, un rayon de lumière, or sûrement, un intrus, est sur la table, le plus fort qui soit et le plus éphémère, aux côtés du poète qui pense à Vermeer : lumière indispensable et d’éternité sur La laitière. Cet instant ne sera pas oublié, ni perdu par la vertu du poème à venir.

Georges-Emmanuel Clancier, au mas de l’Albe, dans une chaise longue, a devant lui la montagne violette qu’il ne quitte pas des yeux. Pour s’en approcher, il fait des détours, presque des circonvolutions, ce qui oblige à des haltes, des arrêts brefs, longs, afin chaque fois de voir ce qu’elle devient, comment elle apparaît, la forme nouvelle qu’elle prend, les courbes qu’elle imprime et cette chute, cette descente progressive qu’il sait être vers la mer. Est-ce que la couleur suffirait à la fixer dans ce moment heureux ? « Bleu intense ». Il se ravise : l’adjectif accapare l’attention, l’enferme. « Violet, parme, myosotis presque ». Il s’est arrêté. Une attente qui ferait trop confiance au modèle seul, alors qu’il serait nécessaire de le regarder longtemps comme si la montagne était parcourue, jusqu’à ce que les pronoms « il » et « elle » s’aperçoivent, que les deux regards s’étreignent, que la distance entre eux se réduise. Il ne va pas plus avant. Il lit Rousseau : « Je dispose en maître de la nature entière ; mon coeur, errant d’objet en objet, s’unit, s’identifie à ceux qui le flattent, s’entoure d’images charmantes, s’enivre de sentiments délicieux. » (Les Confessions, livre 4)

A ce moment-là, où hésiter s’étend, ne se déplace pas, met des bornes, perte, absence, autant d’atermoiements qui occupent tout le terrain. Il lit à nouveau Rousseau : « Si je veux peindre le printemps, il faut que je sois en hiver ; si je veux décrire un beau paysage, il faut que je sois dans des murs. »

Un oiseau, à distance de la montagne, la parcourt en quelques battements d’ailes, le poète, de la plaine jusqu’au sommet, la parcourt du regard en quelques secondes. S’il prend une feuille blanche, un crayon et des couleurs, il peut la dessiner rapidement sans même la regarder. Ce n’est que plus tard qu’il fera un rapprochement en disant : « Elles se ressemblent et ont sans trop d’erreurs les mêmes mesures. Jeu peut-être, se dit-il, jusqu’à croire à une vérité, mais pour quelles raisons ? » Il lit Rousseau : « Ma mauvaise tête ne peut s’assujettir aux choses. Elle ne saurait embellir, elle veut créer. Les objets réels s’y peignent tout au plus tels qu’ils sont ; elle ne sait parer que les objets imaginaires. »

Des mesures séparées des regards divers, des évaluations aux mobilités colorées, des phases du matin au soir aux phrases — je n’en suis pas loin –, des courbes qui descendent jusqu’au corps assoupi : une dialectique qu’il puisse poursuivre infiniment, où les assemblages détruiraient l’impulsion première, où accumuler serait anéantir et ne retenant que le mot désir, pensant que « le poème est le désir demeuré désir » (Char), s’arrêtant à cette phrase. Un autre temps, ce n’est pas celui des jours, mais un temps qui apporte l’illusion d’éternité.

Le temps, à ses côtés, irréversible, virtuel, indéfinissable, l’oblige à envisager ce qu’il a devant lui, à employer le mot attente sans toutefois savoir ce qui en naîtra et avec la volonté de ne pas en découdre. S’il dit « j’attends », l’éclairage viendra de cet espacement, c’est-à-dire du temps qui l’accompagne jusqu’à ce qui va advenir. Et s’il dit aussi « mythe », c’est pour échapper à sa propre histoire et lui donner un inachèvement, pour que son regard sur les jours soit sans distinction.

Il a en main, croit-il, une opposition et si l’on prend un exemple qui vient facilement à l’esprit, la source qu’il découvre et dont il se saisit comme s’il attendait beaucoup d’elle, il en écoute le son, il en suit quelques instants l’écoulement et songe à juxtaposer ce qu’il entend et ce qu’il voit. Les mots du poème ne seront peut-être pas loin de lui et tout ce qu’il a pensé jusqu’à présent à partir de cette source découverte sera très vite abandonné. Il sait qu’il lui faut un temps pour que le passage à vide soit efficient : d’une disparition à un éveil avec d’autres composantes, c’est-à-dire la source qu’il n’a jamais vue et qu’il voudrait éternelle. Les mots du poème seront écrits par cette attente. Il se voit devant la page blanche, monde en noir et blanc dont il sera le prisonnier heureux, avançant ligne après ligne dans une fausse noirceur d’encre comme si le dessin du sujet allait lui apparaître. Il perçoit : jaillissement et disparition, instabilité, sonorité continue. Il se déprend de toutes ces sensations.

Je pense au mot de Char « être le premier venu » qui s’appliquerait ce matin à la rencontre de Georges-Emmanuel avec les premières lueurs bleues et jaunes, lumières qui ne disent pas leurs noms, mais vues, suivies et pas interprétées par Clancier : il est là où il fallait qu’il fût et c’est bien ce lieu, le mas de l’Albe, qui lui sert de promontoire et il saura plus tard ce que ces apparitions lui ont donné. Attente, oubli, écrire, il sait que ce verbe a une intransitivité et il pourrait presque se dire que c’est le hasard qui l’a voulu là, ce qui confère une souveraineté à ces apparitions, à ces montées de couleurs. Ca ne se manifestera pas longtemps. Dépossession, sentiment étrange d’isolement, distance involontaire entre ces éclats et le poète : des pensées qui n’ont pas prise ici et qu’on laisse à l’écrivain à court d’idées. Le poème, le mot ne sera jamais prononcé, il sera là où le poète ne le cherche pas.

Il stigmatise la succession, l’accaparement, la durée des faits au profit d’un temps qu’il ne voit pas passer et qui plus tard ou dans l’immédiat sera le temps très personnel du poème, c’est-à-dire sans déroulement mais avec cette qualité qu’il sera illimité dans les ténèbres ou dans le jour le plus clair…

Peut-être sait-il que le poème ne quittera pas la vision du poète parce que lui-même souvent se soucie de la Poésie. « Le bleu intense » respirant comme l’est celui de Cézanne sur lequel les branches ne s’impriment pas mais elles ont cette particularité d’être autonomes et ce bleu le conduit à une opposition : couleur, air (mot qui va prendre souffle impétueux dans le texte en devenir) et si l’on se rapporte à la première image d’un matin au mas de l’Albe, ce sera le souffle unificateur, c’est-à-dire qu’il n’existera plus qu’une seule couleur « bleu intense » et après ces tourmentes le poète pourra intervenir.

Il y aurait le bleu de Chagall aux côtés de celui qui écrit et le troubadour l’utilise comme une voile. Clancier a dû y penser ce matin à sa première visite et s’il a eu en tête par la suite le poème de Verlaine, le bleu entr’aperçu qui fait suite au toit, mais ce n’est pas ça : sauvegarde, échappée heureuse auprès de sa déchéance, sans aller jusqu’au bleu emblématique d’Yves Klein où la saturation est vue non comme une fin, mais départ inévitable vers la crispation. J’y ai pensé, à ces variations, mais je suis sûr d’être arrivé en second lieu. Le poète occupait le terrain, avait les rêves les plus poignants, dociles, aigus, il ne s’y arrêtait pas et sans intention de persévérer, il allait, donnant accès aux devenirs.

Les dieux ont abandonné le monde et la place immense, vacante, est au poète. Et s’il emploie des comparaisons pour ne jamais faire halte, s’il fait appel à la peinture comme à une alliée, c’est qu’il a soulevé le voile ombilical.

Il fait feu de tout le bleu dont il se détourne pour mieux saisir avec tous ses pores celui qu’il a suivi des yeux. Bleu dont il ne sait quel adjectif pourrait le tenir prisonnier fidèle toujours à l’image que le matin précisa et à la couleur qu’il n’osait pas nommer, ne pouvait qualifier, tant les apparitions successives envahissaient tout le ciel.

L’inverse de la phrase « je ne veux pas le savoir » serait-il : « je désire tous les savoirs » ? Roland Barthes met l’accent sur l’étymologie commune entre « savoir » et « saveur » du latin « sapere » : avoir de la saveur. C’est là le coeur de l’écrit et je ne m’étonne pas que Georges-Emmanuel ait cette ardeur toujours présente. « Amer savoir que celui qu’on tire du voyage » (Baudelaire) : « amer » nous conduit ici au goût. De Baudelaire à Georges-Emmanuel, l’un récuse le voyage dont il ne tire qu’un « amer savoir », l’autre rend vivants à jamais les Passagers du temps que l’expérience des saveurs fait changer et auxquels elle donne, pour ainsi dire, d’autres chances. Dans ses vagabondages, en plein ciel, sans perdre de vue la terre, le poète fait en sorte que ses convives n’ignorent aucune couleur, aucune incandescence, aucun vallonnement. Durer : il s’arrêtera sur ce mot, voulant installer cet état de lumière, voisin de la perdition et de l’égarement, dans les trajets, les lieux qu’il aura choisis.

4, 5, 6, le dernier poème. On dira le dernier quatuor, la dernière sonate de Beethoven. Chiffres, mots, arrêts, inclus dans la vacuité. Le poème lu crée un présent qui ne variera pas. Le poème à mesure qu’il s’écrit crée une durée qui, si elle ne vacille pas, si elle ne s’éteint pas, fera sa valeur, inexplicable et ce n’est ni un abîme, ni une profondeur soupçonnable, mais le contraire. Ouverture excluant le terme pour ce qu’il a de commun. Le livre apparaît comme s’il n’était pas immuable mais dira-t-on l’être comme livre et la corrélation s’établirait d’elle-même entre le sujet et l’objet, créant cette liaison, son temps propre et dans ce cas le poète aura tout loisir d’écrire « éternité », par là même il arriverait à recueillir l’adhésion des lecteurs.
Georges Badin

Verbale énergie de Georges Badin

Verbale énergie de Georges Badin, de Max Fullenbaum

Est-ce par peur de se noyer que la mer accroche son bleu à la toile de Badin et le sang du taureau réclame-t-il la mort du peintre il y a dans la frénésie de la vie et le refus de l’inerte se penche sur le déplacement de l’épaule aussi  aussi aussitôt que la vie bégaie une répétition  dont on ne sait où elle ou île qui peut savoir ce qui se cache derrière ou devant le mouvement de la main apprenant à lire au reste du corps la trace laissée sur la grève par ce qu’il a fallu d’éclat au crépuscule pour se mettre à jour à jouir du jour d’hui du rendez vous avec la plénitude circulaire de l’arène où le taureau entre affolé de ne pas connaître les poils de martre du pinceau qui le fouaille aux entrailles et lui frémissant du dernier moment de la connaissance continue sa tâche de sang de sang froid jusqu’aux os, jusqu’aux aurores où la diagonale de l’épée enfonce sa géométrie dans l’entrouverture juste avant que ne se referme l’instant présent cadeau des minutes des secondes effervescentes diluées dans l’esprit blanc qui cherche dans le corps de quoi rassasier sa toile ô le repas de fête le quignon de pain le bol de soupe la courbe de la hanche vous êtes invités à ce festin de roi prenez là votre place et donnez moi la force d’être entre chaîne et trame celui dont le jouir éveille les abîmes au-dessus desquels je nagerai sans fin …
Max Fullenbaum

3 poèmes de Michel Butor : « pour Georges Badin »

Après l’envoi de toiles libres et de bois, ces trois poèmes de Michel Butor en correspondance.

LIENS D’AMITIE (Pour Georges Badin)

Pour m’accrocher au rocher
en bordure du ravin
j’ai besoin de votre corde
je descendrai en rappel
les strates de nos histoires
pour explorer les vestiges
des cités dans les cavernes
près des volcans en veilleuse

Pour soulever le loquet
fermant la petite porte
qui donne sur le verger
où vous m’attendez en choeur
j’ai besoin de votre fil
ruisselant de vos messages
pour déjouer les mensonges
et préparer le festin

A L’OMBRE DE LA BARRIERE (Pour Georges Badin)

Tireur de flèche Apollon
qui brûles tout dans nos champs
dans nos vignes et vergers
nous édifions nos murets
pour nous protéger de toi

Mais n’en tire pas vengeance
nous avons besoin de toi
te donnerons le meilleur
de ce qu’aurons pu sauver
pour te montrer notre amour

Si jamais tu nous quittais
las de nous carboniser
ce serait encore le noir
mais celui de la nuit froide
où rien ne mûrirait plus

SIGNAL D’ALARME (Pour Georges Badin)

L’or du sang clignote
sur le bois sacré

L’épave remonte
entre flots de flammes

Attendez encore
la Fortune tousse

Préparez vos coeurs

pour les temps d’oubli
Michel Butor

La couleur du corps – Alain Borer

La couleur du corps, texte pour le catalogue de l’exposition de Georges Badin à la galerie Lovreglio (Nice, 1975) par Alain Borer

D’où vient la couleur, c’est à peu près la même question que « d’où viennent les enfants » — du corps, sans cesse. Peinture et écriture, c’est-à-dire encre et couleur, autant de pâtes et de liquides secrétés, investis, diffusés par toutes les glandes corporelles : sang, lait, urine, sueur, excréments, chyle, suc, sperme (cf. Bataille ou Artaud et le flic du Dôme). Le martyr chrétien est une « inscripta pagina christo », une page écrite  par le christ. Et l’encre rouge, en usage au Moyen-Age, comme l’encre pourpre conservée à Byzance, est l’écriture du sang : on mesure la profondeur de l’analogie de l’écriture et du sperme développée par Freud dans Symptôme, Inhibition, Angoisse. Mélanie Klein, de même, a indiqué cette direction : « Le sens symbolique sexuel du porte-plume se répand dans l’acte d’écriture en s’y déchargeant. » (1)
Ainsi le bien nommé Adolph Bitard (2) pouvait-il écrire : « Nous affirmons, en passant, qu’il se perd en France plusieurs centaines de millions de francs d’urine qui, vieillie et coaltarée, produirait des merveilles de bégétation. »
La couleur-urine dans les draps peints ne va pas sans évoquer les manufactures des Gobelins, qui gardèrent longtemps la réputation d’employer des ouvriers à fournir de l’urine pour la préparation des couleurs – et qui recevaient en ce sens des offres de service multiples, (par exemple celle d’un condamné à mort, en 1823 : « Je peux boire par jour vingt bouteilles de vin sans perdre la raison… »)
D’où, sans doute, l’origine des Gobelins judicieusement proposée par Rabelais (3) : panurge ayant semé sur sa dame une substance idoine, tous les chiens de l’église accoururent vers elle, « tirant leur membres et la sentans et pissans partout sur elle… Et c’est celuy ruisseau qui de présent coule au Guobelin ».

(1)Mélanie Klein, Essais de psychanalyse, Payot 1967, page 98
(2)In La Science populaire  sur 30-VI, 1881, cité dans le Dictionnaire de la bêtise, Laffont
(3)Rabelais, Pantagruel, deuxième livre, chapitre 22
Alain Borer

Texte de Serge Mestre

Georges Badin par Serge Mestre

De « Textruction » à « Natures et Galbes » : Georges Badin nous avait habitués, autour des années 1970, à ponctuer ses toiles, libérées de tout support, de lettres imprimées au pochoir. L’image affirmait alors son désir de ne pas être dite et pour ce faire elle se contentait de désigner la trace du mot, la lettre qui, refusant d’organiser le sens, se plaisait à signifier qu’on peut aussi l’ébaucher comme autre objet de la figuration en peinture … Au cours des années 1990, tout se passe comme s’il avait entrepris de totaliser les thèmes de la peintures pour les traiter simultanement. Le corps, ou plus précisement la galbe du corps avec ses différentes chutes. Les galbes, la nature et les natures mortes se distribuent sur la toile comme si le souci était de composer le lieu ou la figuration prend son sens. Et prendre sens suppose ici une fracture qui soumet le spectateur à une réalite toute autre que celle attendue losqu’on lui parle d’image. Son originalité se trouve précisément sur ce terrain : sa peinture n’interroge pas l’image, elle va bien au delà, elle dit l’image. Georges Badin, peintre-poète, modèle la triangulation « corps, nature et nature morte » avec la matière des teintes s’imprimant l’une sur l’autre ou coulant plus naturellement sur la toile comme l’eau qui ruisselle sur la peau. On est, avec ces dernieres toiles, en présence d’un processus de fracture de l’image qui, loin de représenter la destruction de celle-ci, s’épanche sur sa construction … comme si tout avait été fracture avant de commencer à exister.