Georges Badin

La peinture de Georges Badin

Carrousel par Michel Butor et Georges Badin

Ce livre a été réalisé en 2014, en trois exemplaires dans la collection Mémoires d’Eric Coisel. Il comprend des poèmes manuscrits de Michel Butor et des peintures originales de Georges Badin (16 pages, 50×33 cm).

Toiles libres X1

Morceaux du corps et Paume de la main par Emmanuel Merle et Georges Badin

Ces deux livres de dix pages parus aux éditions de la Margueride, comprennent des poèmes manuscrits d’Emmanuel Merle et des peintures originales de Georges Badin.

Les mots du peintre par Emmanuel Merle et Georges Badin

Ce livre a été réalisé en mai 2014 et en six exemplaires. Il comprend des peintures originales de Georges Badin et des poèmes manuscrits d’Emmanuel Merle et est paru aux éditions La Margueride.

Michel Butor OG VINIR

Dans le cadre du festival des arts de Reykjavik, la bibliothèque nationale d’Islande et l’ambassade française organisent une exposition autour de Michel Butor et 12 de ses amis (Bernard Alligand, Georges Badin, Anne Slacik, Joël Leick, Julius Baltazar, Mylene Besson, Pierre Leloup, Anne Walker, Bertrand Dorny, Maxime Godard, Graziella Borghesi et Youl), ainsi du 26 mai 16h (jour du vernissage auquel sera présent Michel Butor) au 31 août, 36 œuvres seront présentées dont les chants de la gravitation :

Catalogue de l’exposition

10 peintres du Roussillon dans leurs ateliers

Du 16 mai au 22 juin 2014, le Château royal de Collioure présentera 100 photos moyens et grands formats de Jacques Lahousse portant sur « 10 Peintres en Roussillon dans leurs ateliers » ainsi que deux toiles pour chacun de ces peintres (Zeyno Arcan, Georges Badin, Jean et Jacques Capdeville, Roger-Cosme Estève, Serge Fauchier, Marc Fourquet, Balbino Giner, Patrick Loste et Jean-Louis Vila). Seront aussi présentées 58 photos noir et blanc petit format (A4) à l’occasion du vernissage qui aura lieu le 16 mai à 18h. Georges Badin présentera donc deux toiles dont une réalisée à quatre mains avec le poète Emmanuel Merle.

Le vertige de l’occident par Emmanuel Merle et Georges Badin

Ce livre comprend des peintures originales de Georges Badin et des poèmes manuscrits par Emmanuel Merle et il est paru dans la collection Mémoires de Eric Coisel.

Le bleu de ta main vire au rose par Serge Ritman et Georges Badin

Ce livre comprend des peintures originales de Georges Badin et des poèmes manuscrits par Serge Ritman. Il est paru dans la collection Mémoires dirigée par Eric Coisel.

Comme une main qui brûle

En écrivant sur les papiers-peintures de Georges Badin
Les papiers sont toujours comme tout frais : les gestes les traversent comme si la main, ou c’est tout le corps, venait de s’y jeter. C’est cela : les papiers sont comme les draps ou comme les prés ou comme le ciel, on s’y jette pour les embrasser ou s’y rouler dans l’emmêlement de la vie. C’est même exactement cela : on y fait l’amour à mort.
Il y a des lignes souvent rouges, ou c’est la direction des brosses larges aussi, qui orientent mais toujours dans au moins deux directions et on ne peut choisir rien d’autre que leur intersection, leur bifurcation, leur façon de défaire les verticales et les horizontales ; ces lignes ou ces directions dans la couleur, mais je retiens d’abord ces plus étroites lignes rouges parfois seules aux bords d’un grand blanc, agissent fortement pour une peinture décentrée comme on dirait une parole décentrée. Hors rhétorique ou hors époque, hors mouvement ou hors nomenclature : intempestive, cette peinture ; décentrés, ces papiers.
L’espace est toujours élargi par je ne sais quel moyen qui est pourtant immédiatement reconnaissable. C’est comme ces après-midi de beau temps et d’éblouissement ou parfois ces lumières sous la pluie avec des nuages qui jouent de valeurs fortes, j’ai toujours l’impression que le pré n’est pas réductible à sa géométrie et pas plus l’horizon à une ligne : il y a comme un espace démultiplié par l’envol. Est-ce que c’est la richesse profuse de la matière gestuelle même quand il n’y a presque rien ? Certainement mais pourquoi est-ce immédiatement là dans un élargissement que seule la géante de Baudelaire évoque sans coup férir – je ne retiens que la fin du sonnet : « Parcourir à loisir ses magnifiques formes ; Ramper sur le versant de ses genoux énormes,
Et parfois en été, quand les soleils malsains, Lasse, la font s’étendre à travers la campagne,
Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins,
Comme un hameau paisible au pied d’une montagne ». Ces papiers aiment évidemment ces infinitifs (parcourir, ramper, s’étendre, dormir), ces soleils (malsains) et cette ombre (ce corps immense jusque dans la montagne qui l’allonge infiniment).
Ces papiers ne cessent de résonner un présent dans son intensité : véritable cadeau à jouir en riant ou pleurant mais à jouir dans l’immédiat sans médiation autre qu’un voir éperdu. Comme rouler dans l’herbe sans savoir où finira la roulade parce qu’il n’y a pas d’horizon à cette peinture : elle est dans un enroulement qui s’étale jusqu’à l’infini d’un faire résonnant. Pas de premier ni de dernier papier : chacun n’est ni l’élément d’une série, ni le moment d’un parcours mais dans son nœud de présent tous les autres à la fois les rassemblant et les appelant. C’est pourquoi, j’ai l’impression passant de l’un à l’autre de me perdre dans une même jouissance s’irisant des mille feux d’un seul présent.
La jouissance avec ces papiers – ne devrais-je pas dire peintures – est aussi lourde que légère, lourde dans le détail de sa matière, parfois même le défait de ses poses, l’inachevé de ses traces, et légère dans la fulgurance d’une couleur qui prend toute la lumière ou l’à-peine posé d’un trait qui suggère plus qu’il ne se montre. Si je parle de lourdeur c’est pour tenter de montrer que le tragique rôde dans chacun de ces papiers ; que la peinture ici est d’abord écho de tout ce qui meurtrit, défait, abîme et inéluctablement tue alors même que son élan n’est que la signifiance du plus vivant y compris de son acte le plus simple de toucher avec une couleur le blanc du papier, de le salir même. Paradoxe ? peut-être mais tension qui tire la vue vers le monde le monde, comme écrivait l’ami Bernard Vargaftig.
Alors oui, on y meurt comme on y fait l’amour. La peinture est un cimetière de jouissance. L’enfance qui s’y joue encore et toujours trouve la vue renversée pour que la vie à contre courant continue sous un soleil, ou c’est parfois une lune, qui pleure de rayons mortels et immensément jouissifs tout à la fois. Avec ces papiers, ces peintures, c’est forcément mal barré. Je suis fini, ici là mis en croix et sans un zeste subliminal de résurrection d’autant que tout est, dans et par cette peinture, fait corps au sens le plus matérialiste : aucune incarnation comme on aime à dire trop facilement : rien que du corps non au sens biologique (le rouge n’est pas du sang…) mais au sens poétique (le rouge est ce rouge… et donc je est ici et maintenant par ce rouge… et ainsi de tout ce qui vient faire mouvement peinture). C’est mal barré – ça barre même souvent – et pourtant immédiatement dans le même instant cette incorporation que j’ai à peine évoquée avec ce rouge est une transe où la barre, le mal barré, fait une danse. Voilà c’est ce mot que je cherchais : ça danse sur, avec, par ces papiers, ces peintures. Non seulement les traces mais c’est un mouvement qui fait tout danser : le papier, la peinture, le regard, la vie et même la mort. La danse macabre est alors en vie. Ce rouge fait la vie.
Écrivant ces notes, je ne sais plus ce que je dis mais je sais qu’avec ces papiers qui deviennent ces peintures, je suis pris dans un mouvement de parole qui n’a qu’une force, celle que Ghérasim Luca évoquait en posant moins une question qu’en suggérant une façon de vivre : « Comment s’en sortir sans sortir ».
Avec les papiers devenus peintures de Georges Badin, dans et par sa fraîcheur, j’ai encore sur les mains et partout dans le corps – parce qu’on les verrait, ces papiers devenus peintures et donc toute l’œuvre de Georges Badin, par les mains autant que par les yeux, par les paroles autant que par le sexe, par la beauté autant que par les déchets – ce jaune (tout aussi bien tel trait) comme un pigment de printemps, ou ça peut-être ce rouge comme une matière d’amour à mort, et c’est donc cette peinture comme une main qui brûle.

Serge Ritman (http://martinritman.blogspot.fr/)

Pourtant la lumière par Emmanuel Merle et Georges Badin

Ce livre publié aux éditions de la collection Mémoires d’Éric Coisel comprend des poèmes manuscrits par Emmanuel Merle et des peintures originales de Georges Badin.

La peinture de Georges Badin : un élan victorieux

Un texte d’Emmanuel Merle

La tyrannie est partout. Elle est dans la peinture comme ailleurs. Cette tyrannie est presque vieille comme le monde: elle consiste à asséner imperturbablement qu’un tableau doit représenter, c’est-à-dire recopier. Si la copie est convaincante, si on reconnaît ce qu’on est censé, tous, avoir déjà vu, alors c’est bon, c’est de l’art, du vrai. Je sais bien que cette manière étroite d’envisager la peinture est monnaie courante, et que sa dénonciation même est usée jusqu’à la corde. La vieille mimésis a de beaux jours devant elle. Le plus fort est que je n’ai vraiment rien contre elle, j’adore bon nombre de tableaux figuratifs: en fait il faudrait être soi-même tyrannique pour nier leur beauté, et surtout leur sincère lucidité.
Mais Georges Badin ne fait plus de peinture figurative, au sens étroit du terme. Qu’il ne représente rien est une autre question…J’estime au contraire qu’il s’agit d’une pleine représentation.
Combien de temps faut-il pour faire un tableau? Y a-t-il une limite en deçà de laquelle on va décider que la quantité d’heures n’est pas suffisante pour que ce soit une œuvre sérieuse? Aussi bien combien de temps faut-il pour écrire un poème? 10 minutes, 10 jours, 10 ans? J’ai 55 ans, et j’affirme que mon dernier poème m’a pris exactement 55 ans pour que j’en sois à peu près satisfait, c’est-à-dire pour que je n’aie pas l’impression de le trahir. Le moment du geste, en peinture, est la partie immergée de l’iceberg, c’est l’aboutissement d’une pratique longue et intense.
Georges Badin pratique la couleur. Longuement, intensément. Une couleur d’une luminosité comme on en voit peu. La couleur de Georges Badin, on ne promène pas son regard dessus, en fait on pourrait presque disparaître dans son éclat.
Cette plongée immédiate dans la couleur primitive, c’est la première évidence de l’art de Georges Badin.

Mais il est d’autres contrées dans cette peinture. Plus cachées cette fois. Oui, il y a une selva oscura dans cette luxuriance colorée…Je ne peux pas croire un seul instant que le peintre se satisfasse du portrait optimiste et naïf qu’on peut faire de lui. D’ailleurs prenons garde! Optimisme et naïveté sont également intrinsèques à cette peinture, c’est une partie évidente de sa gloire… Mais comment peut-on penser que le chemin pour y parvenir soit d’une lumineuse facilité? Non, le chemin vers le simple est au contraire particulièrement ardu. Il est même douloureux.
Que sont ces croix qui segmentent avec régularité tout ou partie des tableaux de Georges Badin? Que signifient-elles? Comment les incorpore-t-on dans l’émotion ressentie face à la couleur qu’elles viennent en quelque sorte barrer, aussi colorées soient-elles elles-mêmes? Je ressens pour ma part comme un paradoxe lorsque je les vois: barrent-elles mon regard? L’aident-elles au contraire à délimiter, à baliser un espace sans elles trop chaotique? Elles sont une dialectique à mon sens. Une croisée tout d’abord, c’est-à-dire une fenêtre à travers laquelle certes on peut voir mais une fenêtre néanmoins fermée, un empêchement, une impossibilité, la négation de l’immédiateté qu’on croyait tout-à-l’heure si facile; en bref le constat sans appel de l’impossibilité de dire le monde dans sa nudité, dans sa présence authentique. La croisée? Un désespoir, presque l’aveu d’un renoncement.
Mais tout aussitôt, simultanément, et c’est ce qui fait – ce conflit d’interprétation – toute l’humanité de la peinture de Georges Badin, tout aussitôt donc une liberté, un oiseau. Un envol et une libération. Le peintre est le creuset de cette double postulation. A quoi reconnaît-on un art véritable? Justement à cette constante balance, charnellement vécue, entre rêve ( un fol espoir) et lucidité (la « réalité rugueuse » de Rimbaud): l’être humain, s’il est conscient, sait la perte irrémédiable à laquelle la vie oblige lorsque il n’est plus possible à l’adulte de convoquer le réel plein, mais il reste aussi habité par l’espérance car il ne peut s’empêcher de rêver. Cette croisée sur le tableau de Badin? Un rêve qui se sait un rêve.
Un livre pauvre que j’ai sous les yeux montre le bleu du ciel traversé par un oiseau blanc stylisé par une croix. Cette croix est en réalité faite de deux bouts de cordelette collés sur la peinture. L’oiseau et la corde. La liberté, l’enfermement.
Autre contrée: les tableaux de Georges Badin contiennent une écriture, des signes plus que des mots, une signature peut-être mais indéchiffrable, et qui ne se cantonne pas à l’emplacement habituel. Des graffiti? Plutôt une griffure. Un complément à la peinture ou un accroc? J’y vois, ai-je raison, une impulsion, un désir de vocable inachevé mais qui témoigne du goût du peintre pour les mots, de son amour même pour eux à l’aune de la déception qu’ils ne manquent jamais de provoquer chez ceux qui les emploient, ou voudraient les employer, pour dire la vie et le monde. Georges Badin, par cette griffure, par ces traits qui parfois courent sur toute la surface, parvient à lier d’une certaine façon les éléments du tableau, à les raccommoder (un texte est un tissu), mais j’ai l’impression qu’ils lui échappent autant qu’il les contrôle. Le langage ne peut pas dire le monde, il fait écran (la poésie ne tente-t-elle pas elle aussi de lutter contre cet arbitraire?), la peinture est plus immédiate. Oui, ces vocables sont des fils encore conducteurs d’une énergie, à défaut d’une signification, ils indiquent un sens, à défaut souvent d’en avoir un.
Et cette impulsion que je soulignais plus haut est celle de la main. Comme la couleur et la forme sont celles du corps. Couleurs-émotions et formes inachevées: on ne bride pas l’élan physique. Au-delà du concept qui referme sur soi, cette peinture est un hymne à la finitude, au sens où elle n’oublie jamais qu’elle émane d’une unité physique et mentale. Gestes créateurs et toujours en train de s’accomplir, ceux du peintre ne peuvent donc être contenus.
Au total énergie brute.
Cherchant le monde, désirant « [ouvrir] cette porte où [il] frappe en pleurant », à l’instar du « Voyageur » d’Apollinaire, Georges Badin, orphelin de sa propre enfance, comme tous nous le sommes, finalement exulte.
C’est bien vrai qu’on peut dire avec Yves Bonnefoy que « l’imperfection est la cime ». Cette peinture qui me rend plus sensible et plus humain, par sa tension permanente, par l’espoir lucide qu’elle sait dans l’instant faire partager, me rend aussi plus confiant et plus fort.
Emmanuel Merle