Georges Badin

La peinture de Georges Badin

André Eulry : du refus à l’amour, une « inquiétude intrépide »

« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder ils s’habitueront. » (Char)
Il lisait à haute voix les exigences du poète, s’arrêtait aux impératifs vivants au début de chaque proposition, ce qui le menait à des lieux de ciel et de terre, de mousse et d’écorce, de branches et de feuilles, de cailloux et d’eau en marche. Il ajoutait l’aube et ses débuts : le bleu en permanence, le jaune venant de la mer. Il savait, ce poète-peintre, qu’elle ne disparaîtrait pas, cette lumière, puisque chaque matin elle serait de retour, face à lui et dans ses toiles. André qui a déjà agi dans sa lecture du poète est placé devant cette profusion. Le chemin qu’il emprunte, jaune et bordé d’herbes vertes, odorantes, avec à droite des pierres et des feuilles qui sont des voûtes, atteint la rayure bleue du ciel, inscrite sur les toiles déjà presque réalisées.
Modèles : à quel moment ce mot qui veut des éparpillements était-il né pour lui ? Très tôt le matin il l’évitait. Seule cette attente semblait faire surgir une cohérence, de même nature, de même couleur qu’à la fin du jour. André à la rivière avait un seul repère et s’il restait passif le modèle qu’il avait devant lui, l’assaillant, l’égarait en quelque sorte par un réalisme naïf. Chez lui, dans cette maison ouverte sur les arbres et sur les montagnes du matin, revenaient aussi d’autres modèles : Hélène la pourvoyeuse et les enfants qui l’accompagnaient. Troubles et présences mêlés lorsque le désir était si fort , celui surtout de ne pas s’arrêter, de ne pas s’attribuer une victoire pourtant approchée mais remise devant soi comme une pierre jetée. Copier, ce verbe inactif, lui était étranger. Il ne voulait pas, devant le surgissement du « grand réel »un résumé, une perte sans retour, une explication vaine mais plutôt ce que j’entendais ou voyais sur ces peintures, c’était : approches, épanchements, sensation – bienfaisante – d’être cerné, continuer pour ne pas se perdre, ne pas éviter les manques, mais les détourner. Je savais que j’ajouterais d’autres mots qu’il me donnerait.
Souvent quand je croisais André, une multitude de personnes se pressaient à son écoute – le savait-il ? J’étais toujours prêt à l’entendre converser avec les autres, tant l’envie qui le poussait à les regarder agir, était sa seule pensée et on songeait à un passé religieux et au désir de rivaliser avec Dieu, sans peur et sans bouclier, sinon de s’approcher du Créateur, peut-être même d’avoir aussi son chemin de croix et des haltes dans les jardins des oliviers.
Si Char a employé le verbe « s’habituer », c’est qu’il évoque à chaque rencontre un temps très court, donc il interroge incessamment. André Eulry vivait ainsi les choses.
« Le peintre apporte son corps » (Paul Valéry). A partir de cet énoncé à compléter, qui peut recevoir les suggestions, les formes malléables, et s’il y a une ébauche de corps dans le lointain, est-ce le corps de celui qui a dessiné dont on distingue difficilement les détails, ou si le peintre est penché sur l’eau, on ne sait pas si c’est son propre corps qu’il interprète, qu’il fait varier. Je me souviens d’une peinture de 2 ou 3 cm qu’Eulry m’avait donnée et je lui avais dit sa grandeur : les deux formes de couleur – jaune et rouge – se faisaient face, semblables en cela à la voix de la chanteuse et du violoncelle qui la suit sans jamais la rejoindre chez Bach. J’ai su que le regard que le peintre posait sur les choses, par exemple le tronc du chêne-liège, rouge sans liège, rejoignait les corps qu’il aimait pour ne pas s’arrêter de dire où il était, ce qu’il faisait, pourquoi il s’exposait.
« Le don de plaire » cher à Baudelaire ne le quittait pas même s’il n’était pas en train de travailler, rejoignant Braque lorsque celui-ci s’inquiétait de la perte de l’ardeur au profit du talent. L’ardeur suppose un feu qui ne décline pas, ce serait aussi être regardé, être lu, presque être aimé, le talent ne serait qu’une bouée de sauvage sans efficacité.
L’attente, l’oubli, l’une comme l’autre participent à un état avec ses durées, ses soubresauts, ses arrêts. On pourrait improviser. Ce qui se voyait chez le peintre, c’est qu’il était maître de ses attentes, des oublis imprévisibles, dispositions qui pouvaient se lire quand il vous disait : je vais à la rivière ou je suis dans mon atelier. C’était du temps dont les angles étaient divers mais on savait qu’il en résulterait des notes et souvent même des toiles inattendues. L’attente : son alliée. L’oubli : sa défense.
Il allait souvent à la rivière, à quelques kilomètres de chez lui, toujours la même, appelée la Passagère. La main à la portée des couleurs. Chassant toute pensée sans obstination. Il suffisait qu’il se penchât sur l’eau et ses mouvements pour tracer déjà le rectangle. L’écart entre le sable et la brindille de bois sur le carnet était immobile, faisait seul le lien entre sa vision et son dessin. J’entendais les phrases qu’il me disait : «  J’aime ces moments-là où le sujet m’est donné, et plus tard à chaque retour il me fuit, il déserte, seul demeure ce qui a été désirable. »
Il reste souvent, des jours durant, dans un temps indécis, dont la lenteur ne se laisse pas mesurer et s’il se souvient du poème de Baudelaire l’Heautontimoroumenos, il se trouve, selon les paroles propres à l’Opinion, plus que victime, dépossédé de tout zèle, d’initiatives tandis que sur l’autre face qui lui apparaît plus douce, il est celui qui agit. Un jésuite civil, se disant peintre, affirme qu’il ferait mieux de s’occuper de ses enfants et chaque fois qu’il rencontre André, il ne le questionne pas sur ses jours de peinture, ses heures de dessin, alors qu’il va répétant qu’on reconnaît de loin ses propres toiles noires, comme une robe maternelle qu’il revêt avec des yeux ressemblant étrangement à sa mère la plus familière, la plus proche, la moins disparue.
« Les jours s’en vont, je demeure ». De là on peut ajouter ce conseil qui donne du courage : « Ne t’attache pas à l’ornière des résultats ». Deux poètes se rencontrent dans le langage et s’opposent à toute soumission. En effet il y a des certitudes lorsqu’on parle qui ne sont vraies que lorsqu’on les reprend dans l’écriture. André savait cela lorsqu’il parlait bruyamment à d’autres, après s’être assis face à la personne qui le suivra peut-être sans répondre, subjuguée qu’elle sera par cette volonté de persuasion qu’il sait pourtant éphémère. Dispersion de paroles contre un ordre qui n’était plus le sien. Dira-t-on que cette parole éparpillée lui donnait autant de vues, de sentiers pour son aventure de peinture ?
Six morceaux de piano courts que Beethoven intitule « Bagatelles », des quatuors à cordes, des sonates, Bach très souvent. Le visage est attentif, les yeux semblent dirigés vers une ouverture bleue, que les rideaux de l’atelier adoucissent. Je pense alors à un mot qui me traverse, éclaire et sûrement l’éclaire : la dette envers ces maîtres qu’il ne peut saisir mais qui le porte au moment même où il les écoute .

Avait-il accès aux traits d’union unissant peinture et monde, elle et lui si peu distants ? Et s’il y avait un écart qui pourrait être dit entre eux, il lui fallait attendre pour qu’ils soient face à face sans animosité, ne pouvant pas jouer avec les bras comme le chef d’orchestre, si juste pourtant avec ses courbes, ses aplats, ses élévations, ses silences.
Que disaient les feuilles du peuplier jaunies dans le luisant du vert ? Sûrement elles proposaient à l’eau au pied de l’arbre que la couleur ne disparaisse pas sur l’eau bleue.
« Oui, dit-il, je te nomme, hésitation/ Qu’a eue ce martinet prenant son vol, / Qu’a-t-il vu qui le tint comme suspendu/ Un instant dans le cri de tous les autres ? Je veux te dénommer pour me souvenir. » (Yves Bonnefoy, Raturer outre).
Si peu de matière à la portée du peintre, qu’il ne peut pas l’éparpiller : ‘elle se dissoudrait disparaîtrait. Mais elle rejoint le martinet du poète et l’eau de la rivière sur laquelle le peintre se penche pour nommer sur le papier les brindilles et les pierres qui se font face, pour finalement se nommer et laisser leur part de mystère à l’intention de ceux qui regarderont. Le peintre aurait souvent dit « hésitation » sans qu’on l’entende mais elle se voyait dans le temps, comme suspendu, des instants qu’il invitait à voir, à entendre, à comprendre, à aimer.
S’il foulait aux pieds les usages de la politesse, chaque jour, le glaive qui la transperçait était son rire haut et le regard qu’il portait ensuite sur les copies déjà corrigées des élèves, posées sur la grande table, disait : c’est pour les enfants, domaine du secret.
Les bien-pensants, si peu courageux sans jamais être bienveillants, lui faisaient tourner le dos. Alors que le jour se levait à peine , deux couleurs l’attiraient, le jaune et le bleu, le premier de source éphémère, le deuxième qui l’emporterait comme le rire des enfants quand ils s’éveillent.
Je ne tiens pas André prisonnier dans « Je ne suis qu’un cri » , la chanson de Ferrat. Et pourtant il se serait arrêté, ému peut-être par elle, ne rejetant pas cette lueur vite éteinte, je savais bien que ce à quoi il croyait chaque jour faisait de sa sensibilité « une amorce et un bouclier « . Mais non, un bouclier, sûrement pas : il aimait trop être à découvert, même face à l’ennemi qui broyait du noir dans sa vie et dans son « œuvre » comme il disait sans raison
Cette franchise (une générosité aussi) que la rareté secourait, affermissait par cette lumière dont le mot revenait souvent dans nos conversations, alors que je la plaçais semblable à celle de Madeleine qui veillait de Georges de la Tour, rendait le visage hors du temps, cette franchise ne se perdait pas dans ses peintures.
Sa rare franchise (sa générosité aussi) lui donnait vigueur et force, ne se perdait pas dans sa peinture et cette lumière – le mot revenait souvent dans nos propos – que je rapprochais de celle de Madeleine qui veillait de Georges de la Tour, plaçait son visage hors du temps.
Il avait tout au début de son séjour à Céret un assaillant, petit homme à la vie minuscule avec ces mots : « Il ferait mieux de s’occuper de ses enfants. » Il fut atteint par ce mal sans courage mais vite il ne pensa plus à ce stéréotype.
« Je ne suis que moi-même » écrit Romain Gary. Et s’il voulait sortir de lui, après de petits calculs, l’assaillant d’André marchait d’un pas mesuré, parcourait à la même heure en fin d’après-midi le boulevard, avait cette figure impassible qui attendait l’approbation sans que cela parût et avant de tremper son pinceau dans le noir pour que se perde la blancheur de la toile, il savait déjà à qui la montrer : un alter ego qui l’approuverait. André n’était pas dans ces ruses. Il disait : ça va finir et s’il était alors dans l’inachèvement, il multipliait les dessins sur des feuilles aux formats variés pour compléter toujours ce manque, cette perte qu’il remarquait dans chacun d’eux.
De « nouveaux arrivants », nombreux, vont sortir de l’ombre le travail d’André Eulry avec le désir de retenir l’éclat par le regard, sans toutefois parvenir à la possession – peintures, dessins tenus vivants dans « la chaleur vacante » du poète André du Bouchet.

Georges Badin

Chambre vide par Dominique Sampiero et Georges Badin

Chambre vide
chambre vide J’ai usé le vide entre mes mains, mot à mot comme on efface un visage, jouant à mourir au plus près des ombres qui vont et viennent autour du souffle et qu’on ne regarde plus à force, l’ombre des arbres, l’ombre de l’ombre, l’ombre des maisons, l’ombre invisible de l’orage quand un voisin me parle de sa femme par-dessus la haie, celle qui a tout quitté, un soir, gommant un à un le nom de ses enfants de sa mémoire, j’ai usé le contour des phrases pour rendre le poème plus creux, plus vaste, serrant entre mes mains les livres comme des frères, m’endormant chaque nuit avec un titre à mes côtés, une présence de papier, un souffle blanc silencieux, épaule de neige dont le rêve dépose des flocons sous mes paupières, figeant ma salive sur des baisers de brume et d’étang.

Abusant du ciel, je n’ai rien fait qu’apprivoiser ma fièvre et le mouvement de la nuit dans mon sang, apprendre à regarder en face l’invisible et le vide qu’il ouvre parfois dans l’immobilité de l’air, suppliant l’âme de frôler mes lèvres pour incurver ma bouche dans le langage nocturne, faire scintiller mes consonnes, m’ouvrir les yeux à cette sévérité de la chair devenue lumineuse.

J’ai su que marcher, aimer sur terre à chaque seconde rassemblerait les vivants et les morts autour d’un même trouble, celui de la présence ou de l’absence, onde de choc secrète que certains nomment Dieu, d’autres la vacuité, et que la plupart tuent doucement dans leur désir, effaçant le parfum subtil de l’éternité dans l’odeur des jouissances.

J’ai répété mes limites à voix haute, effaçant mes contours dans la vibration des phrases qui n’en finissent pas de ricocher sur un lieu inconnu dont l’écho me révèle l’existence, là-bas, entre mes yeux et la poussière de mon lit, là-bas, d’où personne ne revient jamais, là-bas, où les mères transforment l’œuf en ce qui deviendra nos bras, nos jambes, notre âme.

J’ai tout perdu, un geste à la fois, et même le sens des phrases, dans un bégaiement entièrement soumis à cette disparition, épelant mot à mot le long mouvement de la lettre écrite aux quatre murs de ma vie.

J’ai senti qu’être ici n’en finissait pas de se perdre, de se retrouver, usant la lumière de mes yeux sur le papier plié en quatre, reprenant tout à chaque fois par le début, enfant insoumis à toutes les règles sauf celle de la blessure.

J’ai renoncé à dire je, l’écrivant sous une forme tombée du ciel sur la ligne, gonflé d’éclairs, de nuages, de pluies diluviennes et chuchotantes, étreinte avec le rien, le minuscule et le dérisoire, un je à perte de vue, autant précis qu’incertain, petite armoire pour penser l’au-delà, cercueil du moi flottant dans la descente vers la nuit scintillante.

J’ai accepté qu’autre chose se murmure autrement, privé de la décision qui assemble la main et l’âme, recopiant tel un forcené l’incantation, convaincu d’avancer dans un espace où parler est comme donner la vie, la reprendre et j’ai compris que vivre cherchait un épuisement, un abandon tendre à l’usure, un oui je vais partir sans aucune résistance, m’abandonnant à la fonte des neiges sur le bouffant, au soupir de la pluie sous la terre et à la pure présence de s’effacer entre les mains des amants qui, se caressant, frôlent leur mort, inconscients rejoindre le contour des âmes quand elles quittent le corps.

Et si jouir et mourir se touchent pourquoi faire comme si résister nous protégeait d’atteindre ce dernier souffle sorti de nos lèvres aimantes ?

J’ai appris à dire je jusqu’au vertige, son effacement, armure blanche, transparente et friable, geste entre moi et moi encore, multipliant à l’infini l’écho d’être au monde, embrassant le tout ce qui me quitte et se détache pour vivre ailleurs, souffle, enfant, mot et phrase, salive ou graine. De quelle absence ma pleine conscience se gorge, radieuse comme un fruit mûr ?

Les yeux ouverts, je ne vois plus ce que les autres me décrivent, les mots tombent en poussière, le texte a vidé mon regard de ses pensées d’iris et de pupilles et ce calme plat à la surface de la nuit est la seule présence possible ; je laisse en suspens le point final, le désir de la chute et ce doux bruissement du livre qu’on referme.

J’ai choisi de m’effondrer comme une maison dans la ruine de son repos, laissant ronces et orties décider du rythme de mon usure puis de mon recouvrement.

Ce qu’un mot tendre nomme sommeil vacille comme une flamme derrière mon front, complice du glissement de toutes les nuits sur mon corps.

J’attends celle qui me recouvrira de sa chair nue et chaude, poussant la porte de ma chambre par surprise pour me cambrer en elle et ne plus jamais fuir.

Dominique Sampiero

Vide & calme par Armand Dupuy, Eric Coisel et Georges Badin

Ce livre comprend des textes manuscrits par Armand Dupuy, des photographies de Eric Coisel et des peintures originales de Georges Badin. 6 exemplaires dans la collection Mémoires d’Eric Coisel.

Se ramasser par Jean-Marc Undriener et Georges Badin

Pour Georges Badin par Max Fullenbaum

Il y a une étymologie du geste comme il ya une étymologie du mot. Et le geste est un palimpseste du mot, le mot est un palimpseste du geste. Ce que j’ai à dire se vide dans le recouvrement du geste par le mot, du mot par le geste et cet aboutissement est, sera absence d’un geste submergé, absence d’un mot non prononcé dans la persistance d’un silence dont le mutisme enrichit la durée. Le silence est ce vide habité par la transparence d’un souvenir mobile et immobile.
Si la toile est blanche, elle n’est pas vierge mais peuplée dans ses fibres d’intervalles d’ancrage qui font la chaîne pour parvenir à ce silence d’autant plus espacé qu’il remonte le temps , qu’il revient en arrière et donne à vivre un historique.
La rétroactivité de ce silence déclenche une vie en écho où rebondit le moi, l’émoi de l’autre. Le cœur bat le chronomètre à rebours et arpente les secondes à venir avec l’espérance d’un passé vécu au rythme accéléré de pulsations que le temps couve sous son poignet.
En ce qui s’émeut se meut dans ce qui se meurt.
En Silence

MAX FULLENBAUM

Le devenir de Georges Badin par Max Fullenbaum

En entrant dans l’œuvre de Georges Badin, m’est revenue une définition du tableau que je n’ai jamais oubliée.
La voici : « tableau, mots jamais dits que le peintre a trouvés et qu’il recouvre de peinture pour ne pas les nommer. »
Plus que le mot découverte, me disais-je, qui fait la notoriété de certains, le sésame des chemins solitaires ne serait-il pas la redécouverte,non-mot se devant, par vocation, d’être absent du dictionnaire ?
En effet, si le mot jamais dit n’était pas recouvert par un médium qui en soutire le suc, il cesserait immédiatement d’être tableau puisqu’il serait lu et que sa compréhension conviviale et unanime annulerait l’inexpérience en cours, en train de se faire. La peinture est un vocabulaire liquide qui inonde le sens littéral de luxuriance ou de désolation plastique, ou si on préfère une métaphore, la peinture est une essence qui embue l’œil imbu, celui qui lit, celui qui pense, en bref l’œil usé par un concordat, pour dégager l’œil vierge qui voit la première fois.
Telle fut la démarche, la marche en-dehors, de Georges Badin depuis ses Textructions des années 70 ; il a su montrer.
Montrer quoi ? Une inexpérience en train de se faire ou plutôt une inexpérience en train de se vivre.
Ce qui ne signifie point que Georges Badin ne s’est pas appuyé sur une solide expérience , plastique et littéraire, mais l’expérience est sociale tandis que l’inexpérience est individuelle. Sans le premier homme lui apportant l’inexpérience de sa première vie, l’expérience acquise par les générations se fige en un académisme mortel. L’inexpérience apporte la vie et avec la vie, la dissidence, le désordre fondamental.
Au tableau domestique paralysé par un châssis, par ses dogmes et par un mur, Georges Badin va opposer, avec ceux de support-surface, l’œuvre nomade en partance, l’œuvre portable, pliée car les plis sont des rides, foulée parce que la vie est mouvement, peinte des deux côtés parce qu’il n’y a pas d’endroit sans envers, fragmentée parce que le temps devient durée quand on capte l’entre-deux par la simultanéité des visions.
Il s’agit pour Georges Badin de substituer à l’être.
Il suffit de regarder Georges Badin peindre, allongé sur un drap signifiant. C’est un corps à corps, il fait le lit de l’amour, et les couleurs qu’il applique ne sont pas tant méditerranéennes que des couleurs vives, d’ailleurs elles sont liquides, elles enfantent des ouvertures, des couvertures.
Des couvertures… La mort en rouge et noir n’est jamais éloignée du drap car la première vie d’un homme se termine toujours par sa seconde mort.
« Pas de temps mort sur le sable blond de l’arène… » (1)
Oui, que du temps vivant sur la toile-corrida, inscrit jusqu’au bout de soi en couleurs affrontées…
«Pas de pauses. Pas de répit. Pas de négociations. Pas de querelles. » (2)
Car l’inexpérience vécue fondera, tôt ou tard, l’expérience modifiée : n’est plus le même, aujourd’hui, le châssis revenu qui n’en est pas revenu d’avoir pu disparaître.

(1) Georges Badin (extrait de Sur la tauromachie ou la corrida considérée comme l’inverse d’une installation)
(2) Georges Badin

MAX FULLENBAUM

Petite chose par Armand Dupuy, Eric Coisel et Georges Badin

Petite chose, peintures de Georges Badin, photographies d’Eric Coisel, texte manuscrit par Armand Dupuy, 3 exemplaires pour la collection Mémoires d’Eric Coisel.

Donner corps à la fusion par Joël Bastard et Georges Badin

Ce livre comprend des toiles originales réalisées par Georges Badin et manuscrites par Joël Bastard.

DONNER CORPS À LA FUSION

Des jours et des jours à feuilleter l’éphémère.
À compter sur l’or, à égrener sa terre.
À rester debout interdits parmi les élans verticaux.

Aussi nous nous sommes couchés bien souvent
dans les pierres. La chair qui s’y trouvait
nous consolait des blessures.

Des jours et des jours à faire
et à défaire la trame des échanges.

Nous voulions plus de sperme et de cyprine
au contact des chers disparus.

Des jours et des jours à écarter
le grand rideau pour faire place
au jeu évident de la lumière.

Nous attendions la fin du spectacle
pour applaudir le sang, l’incertitude
et le balancier grinçant des sables.

Des jours et des jours à griffer nos organes
aux pontons de granit. À polir nos intentions.
À garder le secret de certains vocables.

Des jours et des jours à émietter le ciel.
À parler de ce qui n’a pas de raison.
À libérer l’armoire ancienne
de son ombre la plus lourde.

Nous aimions nous baigner dans le plus transparent.

Des jours et des jours à rougir devant l’impossible.
À tenter de passer par le repoussant, s’en convaincre.
À prévoir la plus proche souffrance
et son inéluctable empreinte.

Nous ne prenions plus le plus court chemin
pour aller du noir au blanc.

Des jours et des jours à dresser le tableau
pour parfaire l’orgasme de décorations inutiles.

Nous attendions sereinement le pire des ennemis.

Des jours et des jours à nous vautrer dans le cosmos.
À louvoyer dans l’espace, à perdre la raison.
À faire de la profondeur le trou noir d’un baiser.

Nous savions d’où nous venions. Ce qui ne nous
empêchait pas de tenter la cosmogonie intime et singulière.

Des jours et des jours
à discuter avec les flammes actives.
À brûler avec elles. À verser des larmes insignifiantes
pour tenter d’éteindre l’incendie.

Nous comptions sur le manque d’oxygène
pour donner corps à la fusion.

Des jours et des jours à combattre les fantômes.
À repousser les morts au fond de leurs os.

Nous espérions dévorer le visage de l’amour
avec l’espoir infantile de le garder au plus près.

Des jours et des jours à croiser nos accents,
nos vérités les plus fragiles, nos espoirs les plus provocants.

Nous exposions nos œuvres devant le plus grand nombre.

Des jours et des jours à perdre du terrain.
À voir s’avancer le manque d’aspect, le mur vide.

Achevé d’écrire le 29 mars 2013 en Beule par Joël Bastard

Toile libre chez Claudia et Alain Borer

Et n’y sommes-nous pas heureux comme penchés sur un Monet ?

Alain Borer

borer's house

 

Deuil par Hubert Lucot et Georges Badin

Ce livre sur Arches comprend 5 pages manuscrites par Hubert Lucot et des peintures originales de Georges Badin. Il a été réalisé le 28 février 2013 en deux exemplaires.