Lucidité de la peinture

by b

Pour et par Georges Badin, un texte de Jean-Paul Gavard-Perret

La couleur calfeutre l’aube d’un temps disparu
Perdue en ses plages : comme des sceaux chinois
Et les ressacs d’une enfance trop tôt disparue
Qui scellent à la cantonade de très anciennes mélodies
Pour les sourds les aveugles et les muets

Georges Badin hésite encore : vers quoi les arbres trop bleus
Murmurent l’inanité des choses ?
Mais le peindre fend l’air, l’air de rien, comme cela,
Sans une boutique à l’horizon des yeux.

Des comptines résonnent encore dans les greniers
Désaffectés, par le privilège la couleur
Il ne  s’avoue jamais vaincu
Vaincu de quoi d’ailleurs  ? Et pourquoi ?
Le réel possède encore un sens lorsque la peinture rappelle
Ce que l’être veut détruire.
Dans sa fureur anti-créationnelle
Même son  » ê  » majuscule a disparu !

Georges Badin continue.
Simplement il sait , il ne dit pas je crois non
Il sait – serein – dans des toiles qui parfois disent
l’Espagne malade de Lorca,
l’Espagne trouée si belle des vieilles passionarias
sanglantes et radieuses.

Il lui reste tant de choses à monter :  un grand rien
Entre deux lignes :  un opéra d’espaces cachés
Entre deux clins d’yeux les couleurs qui s’aiment
Et ne se le disent pas.
C’est ainsi qu’il réorchestre le monde.
Des espaces s’imbriquent avec des temps
De grandes demeures silencieuses,
De la nuit lumière,
Qui élargissent les flaques pas même nostalgiques
Car le secret est proche et c’est presque l’Eternité :
Alchimie des douleurs se défaisant elles-mêmes, alchimie.

De petites marelles d’enfant s’organisent autour
Du point central : celui qui dit, qui psalmodie,
Qui exulte sa musique intérieure/extérieure.
On devient alors le témoin de cette substance
Indicible d’Etre Cela, la peinture, oui la peinture.

C’est le miracle de la non-attente, une Grâce
Alors la question du sens… vous pensez…
Il faut contempler cette désespérance
D’enfant très grand dans son silence imagé.
Il faut aimer cette recherche de chat attentif aux courses  de la nuit
Dans des sentiers qui ne mènent nulle part
Hors la chaleur absolue de l’affect.
Il faut se laisser emporter par l’oiseau que le peintre tient au bout
De ses pinceaux semblanbles aux touches du clavier des sens.

Soudain le soir décline. Sa chapelle de reine et les maraudeurs
S’y cassent reins et dents, on voit toutes sortes de choses
D’étranges fréquences de couleurs qu’on n’imaginait pas
On s’y blesse, on s’y ressource, on s’y abandonne

On s’y replie parfois, parfois on s’y déplie,
On éclate de rire,
The last laugh,
Le dernier éclat de rire, celui où tout bascule dans le plat de la toile
Parce qu’   » au fond  » sa construction est si fragile.
Elle  rappelle les châteaux de sable qu’on n’a
Jamais su construire, enfant…
Georges Badin, lui, savait en faire de très beaux
Autrefois, bien avant la guerre de 39-45
Sur les grandes plages désertes.
On était encore petit n’est-ce-pas ?

En somme dire cela que le rire est terrible
Pour qui ne le comprend pas. Terrible, oui.
Mais…
Villages
Villes
A l’horizontale
Sous les pluies d’équinoxe
En attendant la neige
qui viendra
C’est sûr.
Il faut bien fertiliser les sols.
Finir les calvaires et caresser les chats.
Savoir que la peinture demeure la blessure la plus rapprochée du soleil.


Jean-Paul Gavard-Perret