La fin de l’errance, Pour G. Badin

by b

Un texte de Jean-Paul Gavard-Perret

Lorsque le soleil luit dans le ciel comme un tigre moucheté de rubis de sang, Apollon est à la fois le dieu du jugement et celui du rêve.
Celui-ci casse les murs, se nourrit de la vie et suscite des lumières : lumières de toutes choses et du monde, lumière de nous-mêmes rendues visibles par le pourpre de la ceinture qui devient ode.
Elle illumine le havre d’Egine dont les lumières cillent au clair de lune mystique.
Badin montre comment quitter les rives du jugement afin d’atteindre l’île d’une ivresse qu’aucun tsunami ne pourra recouvrir.
Le rêve n’est donc pas pour lui le parent pauvre du soleil mais, féminisé, il devient la maîtresse du mouvement vital.
Le rêve est la peinture elle-même devenant femme.
Les deux rebondissent sur la pensée qui lui échappe.
Il en va donc pour chaque tableau de la fin d’une errance sans cesse différée.
C’est un rite de passage, un rituel d’adoration, un chant écarlate :
Il déplace les lignes des lieux habités mais il les dévaste aussi.
Car Badin n’a que mépris pour tous les chiens qui rampent, gardiens de l’insomnie, – même s’il est lui-même un rêveur insomniaque.
C’est pourquoi chez lui et dans la violence de ses oeuvres, il n’existe pas de place pour la cruauté.
Ne surgit qu’un état permanent d’ivresse dionysiaque en ce pouvoir de la peinture à réorganiser l’ordre du fini dans l’infini.
A sa manière le peintre est un anarchiste au sens le plus profond du terme.
Sa vitalité demeure le rapport du corps aux forces qui s’en emparent comme la femme conquiert le corps de la lune.
Un tel corps échappe au jugement de dieu car il devient dieu païen lui-même.
Cela n’est pas sans rappeler le projet de Nietzsche : définir le corps en devenir et en intensité comme pouvoir d’affecter et d’être affecté.
Toutes les oeuvres de Badin ne sont donc pas des combats contre la mort mais des odes à l’amour.
En cette propension, la peinture, en son flot, s’enrichit d’une puissance quasi instinctive ou pulsionnelle qui constitue son devenir.
D’autant que Badin ne redoute jamais de devenir la proie de celles qui comme l’antique épouse d’Eaque sont des « maîtresses de vérité ».
C’est pourquoi le peintre peut épouser la Grèce, mais une Grèce particulière : pas celle des combats mais celle de l’amour sous sa forme la plus douce qui vient paradoxalement à bout de toutes les volontés de néant.
Car la volonté de puissance prend chez l’artiste un tour particulier : elle ne se veut plus un maximum de pouvoir de domination – ce ne serait là que le plus bas degré d’une telle volonté.
C’est pourquoi chez lui la femme devient ce que Lawrence appelait un « symbole » : à savoir un composé intensif qui s’étend et nous fait tournoyer jusqu’à capter dans toutes les directions un maximum de forces possibles.
Contempler les oeuvres de Badin, c’est donc multiplier et enrichir nos forces face au théâtre de la peste par une autre scène : celle d’un amphithéâtre où les femmes en finissent avec le jugement des dieux.
Renonçant à tout jugement, le peintre appréhende jusque dans l’Histoire ce qu’il y a de nouveau dans l’existence.
Un tel mode de peindre inscrit la fin de l’errance dans l’errance même.
Il suffit de se laisser conduire sur le chemin de l’amour qui nous délivre de ce qui nous tue.
Alors pour finir on peut appeler Spinoza à la rescousse lorsqu’il affirme : « Mon âme et mon corps ne font qu’un, ce qu’aime mon âme, je l’aime aussi. »
Puisse le peintre ne faire « que » lister ses amours séculières ou passagères, ses amours de rêve plus fortes que la médiocre réalité – à laquelle trop de peintres se confinent – qui nous condamne.
Plus besoin alors d’imaginer Sysiphe heureux : il l’est, quittant ses pierres pour d’autres travaux où s’enchaîner.

Jean-Paul Gavard-Perret